Lucie Remer
Florent G., abstentionniste : « On est surtout des révoltés du bas de chez soi. »
Abstentionniste depuis plus de dix ans, Florent G. déplore sa propre désaffection des urnes.
Avec ses yeux marron clair, son nez aquilin et ses cheveux noirs, on lui donnerait facilement des airs d’Adam Driver. À 42 ans, Florent G. n’a pourtant aucune ambition hollywoodienne. Assistant stockiste dans une enseigne Hugo Bossdes Champs-Élysées, ce père de deux enfants se définit comme « un misanthrope qui ne déteste pas l’espèce humaine. » Un paradoxe assumé. « J’en suis un à moi tout seul » avance-t-il. On le croit sur parole. Et pour cause : il y a plus de dix ans, Florent G. s’est inscrit sur les listes électorales du 17èmearrondissement de Paris où il réside. Il n’a depuis jamais remis les pieds dans un isoloir.
« Je ne suis pas contre le fait d’aller voter, seulement je n’y arrive plus. » Florent G. n’a pas toujours été l’abstentionniste que l’on connait. À 18 ans, il était même fier d’avoir le droit de placer son bulletin dans une urne. « J’étais heureux de me dire que ma voix comptait. » Il avait de quoi tenir. Ce fils de soixante-huitards a grandi imprégné des engagements politiques et culturels de ses parents. Humanitaire hyperactif, son père participait aux convois humanitaires pour Sarajevo en 1992. Sa mère, ancienne aide à domicile, continue de répéter ses discours féministes. Les pupilles du quarantenaire scintillent à leur évocation. « C’étaient des gens très impliqués socialement et humainement. Ils ont fait ce que je suis devenu. »
Florent G. a eu une enfance sans le sou mais heureuse dans une petite ville non loin de Montpellier. « Au début on avait les moyens. Ça a capoté à un moment. » L’homme revendique ses origines populaires. « Je suis de cette population où peu de choses sont faites, de cette population utilisée à des fins de faire-valoir par des idées politiques. Ça ne m’étonne plus, mais je trouve ça dramatique. » S’il a longtemps été bercé aux idées de ses géniteurs, Florent G. ne se voile pas la face : il n’est pas quelqu’un de très politisé. « Ma génération n’a pas fait beaucoup d’effort, on parlait politique sans savoir de quoi il en retournait. Aujourd’hui encore, on se fait pas mal d’idées sans en avoir beaucoup vu. On se dit révoltés, mais on est surtout des révoltés du bas de chez soi.»
Changement
Cet ancien afficionado du Club Dorothée débarque à Paris en 2007 avec sa compagne. Il débute par de l’intérim dans le prêt-à-porter. Vendeur, manager, stockiste… « Être derrière un ordinateur est une véritable angoisse pour moi, j’ai besoin de faire quelque chose, de bouger. » Ses mains s’agitent dans les airs quand il parle. Il sourit. « Je n’étais pas du tout prédestiné à faire ça. J’ai fait une fac d’arts plastiques. » Son truc à lui, c’était le dessin, l’infographie. Un véritable moyen de communication pour l’introverti qu’il était. « Mais quand on est à l’université, c’est surtout pour être prof. J’y ai passé des vacances plutôt qu’autre chose. »
Après quinze ans dans la capitale, Florent G. a toujours du mal à se dire Parisien. Une partie de sa famille se trouve dans l’Hérault. « Quand je votais, c’était par procuration. Ma mère s’en chargeait pour moi. » Un abandon ? « Une flemme surtout, l’administratif m’a toujours barbé. » Il ne sait pas à quand remonte son inscription sur les listes électorales parisiennes. Sûrement avant 2012. Pourquoi ? Il ne se l’explique pas. « Peut-être qu’inconsciemment c’était pour avoir la paix par rapport à ma mère. » Il se marre. Voter, c’est important pour sa génitrice. Elle s’est battue pour conserver ce droit. Alors entre eux, l’abstention est sujet à débat. « Elle me fait des piques, mais dans le fond, elle comprend un peu mon point de vue. »
Lui-même ne se l’explique pas. « Il n’y a pas eu de déclic, c’est quelque chose qui a dilué au fil des années. » Une barrière : l’extrême individualisation de la société. Les acteurs politiques ne sont pas fédérateurs selon lui. « Pour moi, la politique c’est aller vers un même but ensemble. Là, on ne voit que des gens divisés qui se battent pour leur paroisse. Ça n’a pas de sens. » Il radote. Les mots reviennent dans sa bouche. « Je trouve ça grave au bout d’un moment. Quand on est dans une société, on est ensemble ! » Ce qu’il déteste ? Les extrêmes, le populisme. Autour de lui rien ne change, tout empire. « C’est une sorte de cycle, on revient toujours au même point de départ. » Le parallèle avec les années 1930 est effrayant. Il soupire. Il n’est pas déçu non, il n’attendait rien. « Quelque chose est peut-être mort au fond de moi. »
Multiples intérêts
Florent G. n’est pourtant pas quelqu’un que l’on pourrait qualifier de mort. Dans son salon, la bibliothèque regorge d’ouvrages en tout genre. Du Japon à l’art urbain, en passant par les albums pour enfants. L’ancien sudiste est un véritable touche-à-tout. Une de ses passions ? Le hip-hop, initié par son grand-frère alors qu’il était à la fac. « On avait besoin de rien, juste d’y aller. » Il multiplie shows et battles. Artiste, il pratique le graph, réalise des vidéos, fait des montages, construit des maquettes. « En ce moment, je m’intéresse pas mal à l’astronomie. » Atteint d’une maladie génétique, la spondylarthrite ankylosante, ce curieux pétulant a réduit ses activités sportives. S’il ne danse plus, il continue de s’activer. « Depuis huit ans, je fais tout à vélo. » Rien ne l’arrête. Édith, sa compagne, le taquine. Bien que réservé, il parle parfois beaucoup trop.
« Moi-même je trouve ça malheureux que je n’aille pas voter. » La politique ne le laisse pas indifférent. Il suit les débats, surtout à la radio qu’il préfère à la télévision. « Ce sont des condensés, on ne comprend pas tout. » L’assistant stockiste ne veux pas être coupé de la société. Avec sa compagne, ils accueillent des migrants dans le cadre de l’association Utopia. « C’est surtout son truc à elle, moi je n’ai pas cette force-là. Mais c’est important de participer aux actions civiques. » Édith vote. La politique, ce n’est pas un sujet de discussion entre eux. « Je le laisse faire ses choix, tant qu’ils sont cohérents avec lui-même et qu’ils ne menacent pas notre famille », explique-t-elle.
Cette année non plus, Florent G. n’ira pas voter. Cela ne changera rien selon lui. « Il faudrait un programme réaliste, cohérent. » Au centre de ses préoccupations, l’écologie, le social, ce qui l’entoure. Il ne retrouve rien de tout cela dans les programmes des candidats. « Aujourd’hui, j’ai l’impression de devoir voter contre un danger, ça ne me convient pas. Je n’ai pas envie de me battre contre quelque chose, mais pour quelque chose. » Beaucoup votent par devoir et non par envie, explique-t-il. « On essaye de culpabiliser ceux qui ne se rendent pas aux urnes. Oui voter c’est important, les gens se sont battus pour ça, mais ils se sont surtout battus pour des idées. » Lui l’assume sans en faire une bannière. Car dans le fond, il espère encore. « Un jour peut-être, je mettrais mon bulletin dans une enveloppe et je me dirais : ouais, là, il y a un truc. » Un jour peut-être…
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12 mars 2022, Lucie REMER